Jean-Marie Straub et Danièle Huillet

A la 6le minute, 25e seconde de la Mort d’Empédocle, un lézard fait irruption en bas du champ et disparaît d’emblée. Il faut s’exercer, la perception aux aguets, pour qu’il ne passe pas inaperçu. Mais une fois qu’on l’a vu, on ne regarde et on ne pense plus le monde comme avant. Car pour Danièle Huilier et Jean-Marie Straub (et pour Rosa Luxembourg) le sort d’un petit reptile a autant d’importance que le sort de la révolution. Ce livre va ainsi à la rencontre d’une oeuvre au pluriel de ses textes, de ses musiques (la têtue géométrie cézannienne comme aplat géologique de l’image), et sans auteur fixe : le nom propre est « l’appréhension instantanée d’une multiplicité » (Deleuze) et celle-ci un événement qui continue aujourd’hui pour les Straubs. Chaque chapitre compose une carte mouvante, qui se répète et se modifie. Il s’agit d’une cartographie tout d’abord italienne, depuis les constellations des films-Pavese et Vittorini et d’un autre Dante exilé au paradis. Dès lors, on dérivera de l’ailleurs-dehors de l’Italie fasciste et  » démocratique « , post-fasciste (Fortini), à l’Allemagne nazie et « démocratique », post-nazie (Brecht), à l’Égypte nomadisée, mosaïque de Schoenberg, à ses révoltes trop tôt trop tard d’hier et d’aujourd’hui, à la Palestine hallucinatoire de Kafka… D’où l’interférence avec les visions de Godard ou encore avec le regard-désert d’Antonioni. Donc, un livre-carte, dont les Straubs ne sont pas les sujets mais les passeurs, jusqu’aux derniers films en numérique qui extériorisent un réalisme psychique terrifiant et vivant… Image roche, sur roche, contre le saccage du capitalisme planétaire. Un lézard.

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